Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Stripey
Stripey
Publicité
Stripey
1 mai 2004

Masses Intérieures

Que ce soit des intérieurs ou des extérieurs, je ne perçois pas forcément la différence. Voilà que cette opposition prend toute sa signification depuis quelques semaines. Un coup de téléphone, un email, un texto, un hôtel de ville, une chaise, "ta chemise sur ma chaise"... Donc ça macère intérieurement, et ça sort de manière difforme, indéfinie et interdit de langage. Ca se retrouve à l'extérieur, hébété, sans mouvement, amorphe. Le désir intérieur qui accouche d'une masse inexpliquée et inexplicable en face d'une sœur, souvent jumelle, qu'elle va côtoyer durant quelques heures ou plus. Répétition à faire pâlir un métronome. Je porte en moi les enfants de mes rêves dont l'autre parent n'a pas de substance palpable. Malgré tout, ça entre en moi, j'avais laissé une porte ouverte, consciemment ou non? je l'ignore.

Ca s'agite dans mes entrailles, ça se nourrit de mes viscères, de mes neurones, de mes battements de cœur désyncopés, ça croît. Sans vraiment prendre possession de mon enveloppe corporelle, elle exerce sur moi une influence que tantôt je caresse, que tantôt je refoule au fin fond de mes tripes; la masse est maligne, elle se tapit dans l'ombre de mes organes, attendant l'instant propice pour se manifester de nouveau, même si une de ses sœurs a commencé sa croissance intracorporelle, attendant son accouchement dans la douleur, forceps fortement conseillé, péridurale prohibée, césarienne impossible.

Il arrivera que la masse se déplace et provoque des distorsions, occlusions et autres complications que je ne pourrais apaiser qu'en me penchant sur ma médication, trichant parfois sur la posologie, ma douleur sur une échelle de dix est inquantifiable. La masse monte au coeur, je frôle l'arrêt cardiaque, se faufile dans ma gorge et s'installe pour une période indéterminée entre quelques parois de ma cervelle, lâchant de temps à autre une substance qui lui est sienne dans les rares neurones aux alentours. Celle-ci fait son travail au sein de ces cellules, tandis que la masse se glisse entre mes poumons, je suffoque, je tousse, sèchement, abruptement. Qu'importe, elle poursuit son chemin, descend plus bas tout droit, traversant les chairs qui se reforment juste après son passage. Elle se terre là où elle pense que sa prime enfance s'est déroulée, elle se tortille, se meut dans une danse syncopée, arythmique et sans grâce; mes symptômes sont assez limités par la posologie quotidienne, tout n'est pas aussi dur que ce ne le fût. Quelques larmes de moins.

L'accouchement approche, les sages-femmes sont en grève, je me contenterai d'un jeune interne par écran interposé; cette masse, encore un de ces enfants du fruit de l'immaculée digression, se fait sentir un peu plus dans mes entrailles, quelques contractions, une barrette pour compenser, il s'agit de ne pas paniquer lors de l'extraction de ma descendance. Souvent le soir, une légère brise lors de l'expulsion du fœtus arrivé à terme, souvent je m'ennuie, me demande pourquoi je porte en moi des masses supposées apporter bonheur, alors qu'une fois extraite, la masse est mort-née, laissant dans son sillage une dépouille de mélancolie désillusionnée.

Néanmoins, attendent encore dans mes viscères les frères et sœurs de la dernière masse sortie sous les vents devant un écran, aux yeux fermés de tous. Responsable, coupable, je suis devenu une machine à fabriquer des enfants du bonheur qui se meurent dès leur naissance, des enfants qu'on ne peut pas aimer, dont on ne pleure pas la mort, qu'on oublie après les avoir classés quelque part entre deux gliomes. Cette fabrication à la chaîne, fruit de la quête quelque peu risible et infiniment passionnée, je n'en arrête pas le fonctionnement, profitabilité zéro, mais je sens ces masses prendre possession de ce qui me reste de carcasse et j'adore sentir les prémisses de la mort de ces enfants nés du désir qui perdront leur sens et leur vie dès qu'ils seront expulsés quelque temps après ma prochaine fornication dans un Septième Ciel artificiel et virtuel avec Dieu et ses Hommes.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité