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Stripey
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Stripey
28 avril 2004

Just A Little Crash

3 mai 1988, seize ans à peine, je termine mon année scolaire en 1ère. Les beaux jours sont revenus, le samedi d’avant, je suis descendu en train à Avignon, parcourir 70 km et débarquer dans la grande ville pour voir les nouveaux disques, se payer des fringues après avoir racketté Maman de 500 balles, somme énorme à mes yeux, l’univers s’ouvre à moi. Je me souviens avoir acheté un pull vert très joli, je mettais beaucoup de vert au lycée, suite à une lubie idiote comme quoi je créais une parfaite harmonie avec la couleur de mes yeux, qui, fatalement, sont gris. Pas grave, je me souviens de jours paisibles, d’études faciles, de stress liquide et fluide, s’écoulant au tout-à-l’égout…

Le mardi d’après, je porte mon nouveau joli pull vert (ne jamais porter de nouvelles fringues le lundi, ça fait çui qui veut montrer qu’il s’est payé des nouvelles fripes durant le week-end…)… Maman et moi quittons la  maison distante de 12 km du lycée vers 07.40, histoire d’arriver pour 8h, comme d’habitude, je suis en retard, Maman râle pour la forme, mais il fait beau, elle sait que j’ai deux heures d’éco, ça sent le romarin, je bouffe deux cerises avant de monter en voiture, la vieille Skoda bleue avec le coffre à l'avant, je saurai pourquoi dans moins de quinze minutes, indéfinissable, très Europe de l’Est, la seule dans la région; j’aime bien cette voiture, je peux étendre mes jambes et laisser bouger mon imagination lorsque nous passons le barrage sur le Rhône pour quitter l’Ardèche et rejoindre la Drôme, longer le Canal sur cette ligne droite interminable qui débouche sur la Nationale 7.

Maman et moi parlons de tout et de rien, il a plu la veille, un de ces orages printaniers où le ciel est noir, le vent est fort et la pluie s’abat en trombes pendant une heure. La route est encore mouillée malgré le soleil qui éclate. Clignotant gauche pour quitter la nationale, on entre dans la ville.

Un camion est garé dans le virage, il gêne la visibilité, la Skoda roule à 60 km/h sur une petite pente. Maman met son clignotant pour éviter le camion, la voiture patine sur le macadam humide, Maman perd le contrôle du véhicule, je commence à paniquer quand les zigzags s’agitent en tous sens, Maman double le camion alors que la voiture commence à tournoyer. Arrive en face un bus scolaire. Seules trois secondes pour comprendre ce qui, inéluctablement, va se passer. Une demi-seconde avant le choc, je vois Maman lâcher le volant, prendre ma tête dans ses bras et me coller sur mon siège.     Le crash.

Le crash, le vide, l’absence de souvenirs précis, un goût de sang dans la bouche. Je reprends connaissance lorsque les pompiers sont en train d’arracher la portière; ma jambe gauche est tordue, d’une lourdeur inimaginable "veux ma Maman…  j’ai peur, j’ai mal", je pleure du sang, je m’essuie le visage, mes mains sont rouges. Des bras puissants m’extraient de la carcasse. Le bruit des voitures qui continuent à rouler, un vacarme assourdissant, je veux du silence, je veux Maman, je vois rien, j’ai mal à la tête, j’ai mal aux côtes et ce sang dans ma bouche qui coagule sur mes lèvres, ma jambe me fait hurler à l’intérieur "t’inquiète pas, mon petit", j’avais mis ma ceinture, et Maman?, le soleil m’aveugle, mon bras droit est inerte, corps disloqué, je regarde ma jambe, elle est complètement retournée, mon pantalon gris a rougi sous l’effet du choc, du sang, du sang partout, on panique autour de moi, je m’enfonce, je ne vois plus rien, on me hurle dans les oreilles, ce sang qui colle mes lèvres, mes dents déchirent ma bouche, ce sang sur mes mains, ai-je fait quelque chose dans une vie passée qui était si mal, j’ai mal , je roule sur du caoutchouc, un homme avec une cravate me demande si ça va, "5.8 de tension", je ne peux pas réponde, je grimace un sourire sanglant, mon nouveau pull dégoûline d’hémoglobine, pimpon, pimpon, les doigts collés par le liquide rouge, le froid de ce soleil vidé de toute chaleur, ce bruit insupportable, ce sang, ce lit qui roule, urgences, ce sang, X-Rays, le mal, ce sang, la bouche qui explose, ce sang, la tête qu’on a vidée et qu’on a remplie de typhons d’éther, ce sang, cette ligne fine que je suis du regard, cette longue ligne faite de mon propre sang, cette corde raide, dont je ne dois pas tomber, cette corde raide faite de ce sang, mon propre sang.

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