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Stripey
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Stripey
2 juillet 2005

Mort de la Sagesse

"As-tu déjà réfléchi comme tout le monde à la façon dont tu quitterais ce monde? Question à choix multiples"

Qu'une mort subite t'emporte sans que tu aies eu la possibilité de te préparer physiquement et moralement à l'au-delà, ou que ta disparition s'étale sur une période qui te donne l'opportunité de penser à l'ultime modification de ton être, le résultat sera probablement le même; n'empêche que les derniers instants pre mortem seront une absence épaisse, une argile rouge qui aura absorbé ta blanche sève, la fin de ton espèce; ton don de vivre n'aura plus de raisons d'être, seules quelques phrases familières, que feras-tu de ton art personnel, de ton âme singulière?

Nous sommes passés de la mort apprivoisée à la mort interdite. Elle a été perçue comme une chose inopportune, puis comme une injustice ou comme une absurdité, voire comme un anachronisme: nous aurons bientôt le pénible sentiment de connaître la mort juste avant que la médecine ne triomphe enfin de cette fatalité, quitte à attendre des siècles. Le désir d'immortalité, substitut de la peur effroyable de l'inconnu. L'importance de la sécurité dans les sociétés modernes avancées. A défaut de pouvoir trouver la sécurité en Dieu, les hommes ont fait de la sécurité une divinité. Or la mort, même pour les croyants, à l'exception de quelques saints, c'est l'insécurité absolue. En attendant de pouvoir la vaincre, nous voulons bien la nier.

100 naissances se terminent par 100 décès. La vie n'est qu'une maladie mortelle transmise sexuellement. La mort, ton dernier traîtement à cette maladie.

Le vieillissement est ton dernier prologue. Il en résulte une série de dégénérescences qui sont très bien connues et avec lesquelles nous devons vivre. Comme la longévité est une donnée génétiquement programmée, on peut théoriquement mourir en bonne santé; mais quand on est devenu trop vieux, les systèmes ne sont plus capables de s'auto-soutenir. On sait par exemple que les cellules ont une limite de reproduction. On sait qu'il y a des cellules qui ne se remplacent pas comme les neurones par exemple, et d'autres qui se remplacent tranquillement comme les hépatocites. Mais plus le temps passe, moins notre capacité de régénération et de réparation est disponible. Et puis à la fin, c'est le système immunitaire qui commence à se détériorer. Commence alors un processus où notre organisme va être envahi par d'autres organismes. Notre génome perd alors le contrôle de nos molécules. Puis on ne peut plus tomber plus bas dans la vie.

Aucun vivant n'a vraiment le droit de parler de la mort. Et ceux qui l'ont vue de près moins que tout autre: car ils finissent par croire qu'elle ressemble à ce qu'ils ont connu et qui, forcément, n'a rien d'elle.

Arrivera le jour où des savants immortels s'enfermeront dans une cité où tout sera possible. Ils seront pris de vertige, comme à chaque fois que les repères immuables et solides de la culture craquent d'un coup, laissant entrevoir leur relativité. En fait, il s'agira bien d'une véritable orgie, mais d'une orgie où le désir qui s'étanche n'est plus celui de vivre mais de mourir. Sans expliquer l'incompréhensible :

"Quand nous eûmes refermé sur nous les portes de cette colonie soustraite à l'effet corrosif du temps, nous ne savions pas que nous fermions sur nous les portes de notre prison. On s'était dit: "Enfin, nous avons réalisé le rêve de tous les âges, libres et affranchis du temps, nous allons pouvoir nous adonner à la vie totale, sans entraves et sans limitations. Au départ, cette liberté totale fut quelque chose de merveilleux. Débarrassés du poids du passé et de la peur de l'avenir, nous expérimentions ce dont les hommes ont toujours rêvé: l'instant éternel. La science, le plaisir, l'art, tout cela fut goulûment consommé jusqu'à satiété. Toutes les voies furent explorées, toutes les techniques furent essayées et toutes les possibilités épuisées. Puis vint la nausée. En fait nous avions oublié, dans notre orgueil forcené du savoir et du pouvoir, que tout existe par son contraire. Très tôt notre monde fut un non-sens: plaisirs sans joie car sans peine, désirs piégés car sans frustrations et sans limites, sciences sans objet puisque nous savions tout ou presque, art dégénéré, car sans contexte et sans contestation, même la musique sonnait faux car nous n'avions plus rien à pleurer, plus rien à chanter, plus rien à espérer. Nous avions voulu la vie totale, mais la vie sans mort serait-elle une absurdité logique?"

"Oui, la vie pour être ce qu'elle est ne peut qu'être finie. La vouloir sans la mort, c'est vouloir la gauche sans la droite, le haut sans le bas qui fait qu'il est le haut. Comme un cauchemar gris, insipide, gélatineux, indéfiniment renouvelé, sans possibilité de fin ou de réveil."

Je vis sans vivre en moi-même, dans mon espoir sans limites, je meurs de ne pas mourir; dans la seule confiance de mourir un jour, je vis, car c'est vivre que mourir, cette fin m'affirme mon espérance. Ne tarde point, je t'attends, je meurs de ne pas mourir.

La préparation à la mort exige une marge de santé, de tranquillité, de sécurité. La pente douce invite à méditer sur les horizons invisibles, la pente abrupte les voile. Ce qui tue ne prépare pas à mourir. D'où la nécessité de penser à la mort avant qu'elle n'ait raison de nous. Mais au fait, à quoi donc nous sert cette méditation? Apprendre à mourir ne sert pas à bien mourir, mais à vivre moins mal. Certes, le but de l'intelligence, c'est la vérité et donc la mort, puisque la vérité est du côté de la mort. Mais son effet immédiat, c'est d'aider à vivre...on ne croit poursuivre le but que parce qu'on recherche l'effet.

La vie ne vaut pas d'être achetée à n'importe quel prix: C'est pourquoi le sage vit, non autant qu'il peut vivre, mais autant qu'il le doit. Il verra où il doit vivre, avec qui, comment, pourquoi: son unique pensée, c'est la valeur, non la durée de son existence. Mourir tôt ou tard, peu importe; ce qui importe, c'est de bien ou mal mourir. Or bien mourir, c'est échapper au danger de mal vivre.

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