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Stripey
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Stripey
20 mars 2005

Shoot Me Down

Le dimanche, aux alentours de midi, le métro est quasiment vide. La ligne 11, qui me permet de joindre la station d'Hôtel de Ville depuis celle de République est dans la mouvance. En arrivant sur le quai presque désert, je lève les yeux vers le panneau qui égraine les minutes qu'il me reste à attendre avant l'arrivée de la prochaine rame. 05 minutes.

Peu de monde, un SDF qui tente de dormir au chaud dans un coin, trois touristes avec sac à dos et plan de Paris et un gamin d'une dizaine d'année. Plutôt agité, le garçon, il va d'un endroit à l'autre, scrute le trou béant duquel vont surgir les deux yeux jaunes du train dans un bruit de ferraille, lance un regard vers le plan du métro, puis vers la machine à distribuer les boissons, remonte le quai, le redescend, s'approche du bord, attend dans l'impatience. Il reste 04 minutes.

On s'ennuie sur les quais de métro; on peut regarde ceux d'en-face, s'asseoir sur une chaise pas trop sale, regarder les affiches publicitaires. Le gamin fait tout ça à la fois, mais dans un mode accéléré. De mon côté, je chantonne par-dessus la musique qui entre dans mes oreilles à plus de 100 décibels. Nancy Sinatra m'ordonne en boucle de tirer "Bang Bang, you shot me down", du côté gauche entre sa voix, du côté droit, les guitares alambiquées. La chanson est courte, trois misérables couplets, le refrain à trois reprises. Il reste 03 minutes.

Le garçon a des Nike, un jean, un gros pull et un blouson, je pense à mon neveu de 6 ans qui est une vraie toupie, que je ne laisserai jamais virevolter sur le quai d'un métro parisien. Il m'a déjà assez traumatisé une fois qu'il se penchait un peu trop pour voir arriver le train. Ce que fait ce gamin en ce dimanche d'hiver, un peu de chaleur et de poussières de métro, mais... n'en prenez pas trop. Il reste 02 minutes.

Les saisons changent jusqu'à ce que vienne le jour où on se souvient que l'on jouait à ce jeu stupide "Bang Bang, I shot you down, Bang Bang, you shot me down...". On s'écroulait au sol après ce bruit horrible. Je lève les yeux. Pourquoi ce tunnel ? Pourquoi la laideur de ce train qui ne vient pas ? Pourquoi ces lumières de néon immortels ? Pourquoi ce spleen et ce stress dominicaux, après un matin sans entrain ? Le gamin sautille, scrute le côté gauche, de l'autre côté des rails, le train est arrivé et est parti dans la direction inverse avec son flot de passagers. Il reste 01 minute.

1 minute avant que le train arrive, on a comme un poids de l'attente qui s'en va, stupidement, que sont ces 5 minutes d'attente dans une journée où l'on n'a pas d'engagement ? D'ailleurs, peu de personnes sont venues nous rejoindre depuis que je suis à quai, depuis que Nancy a recommencé sa complainte meurtrière, le bruit atroce des amours mortes qui tombent en poussière sur le sol. Soudain, le gamin s'agite de plus en plus, court dans tous les sens, le panneau n'indique plus que 00 minute en clignotant, on s'affaire, on scrute l'horizon de gauche bouché, le gamin s'approche de plus en plus du bord du quai afin de tenter de voir plus loin, d'anticiper l'arrivée, l'entrée dans la rame, l'esprit qui aura évacué l'attente du train et qui se tournera vers celle de la station suivante, il se penche, se met sur la pointe des pieds... de l'autre côté, les lueurs des yeux du train slaloment sur les parois crasseuses du tunnel, il se penche, il se penche, il trébuche, il tombe, il est à à peine 10 mètres de moi, il tombe d'abord sur le bord du quai, les jambes qui balancent au-dessus des rails, le train se fait attendre, le gosse hurle, personne ne comprend, ce son horrible, il s'écroule au sol, "Bang, Bang"... il glisse vers les rails, une femme et moi courons vers lui pour lui attraper les bras, ce son horrible des roues glissant sur les rails qui résonnent dans le tunnel, un mauvais film au ralenti, le gamin est tétanisé, le gamin hurle, ma béquille est tombée sur la voie, sur sa voix, nous le retenons chacun par un bras, les freins crissent, les yeux jaunes du train, les yeux emplis de terreur du conducteur, nous tirons le gosse, le train freine à en faire hurler toute sa ferraille, trois personnes à terre, un tas humain qui s'accroche à son noyau, cette enfance terrorisée, nos yeux d'adultes qui se croisent, le train qui s'arrête, nos coeurs aussi, "Bang, Bang, that awful sound... My baby shot me down...". 00 minute.

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